CATALOGNE – 2,2 millions de pauvres !
Le chiffre est lourd et représente près de 30% de la population catalane. Le 10 octobre, l’Institut des Statistiques de Catalogne, en collaboration avec les municipalités de la province de Barcelone, rendait publics les résultats de "l’Enquête sur les conditions de vie et les habitudes des habitants de la Catalogne" (ECVHP). Dans ce contexte social, le chemin de l’indépendance est-il celui qu’il faut suivre ?
(Photo collectif Comida Basura)
Tous les cinq ans depuis 1985, la ville de Barcelone et les 26 municipalités de la province du même nom émettent un rapport sur les conditions de vie de ses habitants. En 2006, ce rapport devient officiel, concerne désormais toute l’autonomie de la Catalogne et prend le nom d’ECVHP. A l’aide de près de 4.000 entretiens concernant plus de 10.000 personnes, l’ECVHP devient la référence en matière de statistiques socio-économiques sur la région. L’indicateur utilisé par les organismes d’enquête pour mesurer le taux de pauvreté (ou d’exclusion sociale) est l’AROPE. C’est un indicateur reconnu par l’Eurostat (organe de la Commission Européenne chargé des études statistiques) qui prend en compte la pauvreté monétaire (revenus inférieurs à 60% de la moyenne), la situation professionnelle des ménages et les privations de consommations. In fine, l’indicateur est aussi bien quantitatif que qualitatif, puisqu’il considère que la pauvreté englobe aussi bien le revenu que les habitudes de consommation.
Des chiffres édifiants
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Sur 7,5 millions d’habitants, 2,2 millions sont considérés comme étant pauvres, soit près de 30% de la population catalane. En comparaison, la moyenne de l’UE est à 21,6% et l’Espagne à 26,7%. La Catalogne est donc bien au-dessus de la moyenne nationale. Et si on ajoute que la région est la plus endettée du pays, avec 44 millions d’euros de dette, le verdict est accablant. Le rapport nous apprend que 57% des ménages ont du mal à arriver au bout du mois avec leur salaire. Si on s’intéresse à leurs habitudes de vie, on s’aperçoit que 39% ne peuvent même pas prendre une semaine de vacances par an, quand 15,5% n’arrivent pas à payer leur facture dans les délais impartis. Le changement souligné par l’ECVHP concerne les catégories touchées par la pauvreté. Alors que les précédentes études montraient que les plus de 65 ans formaient la plus grosse poche de pauvreté de la région, la donne a changé. Aujourd’hui, les plus enclins à être considérés comme étant pauvres sont les moins de 16 ans : 28% d’entre eux sont concernés.
Pourtant, avec 18,7% du PIB, la Catalogne reste la région la plus productrice d’Espagne. Une contradiction qui s’explique certainement par les inégalités auxquelles fait face la région. Avec "seulement" 28,1% de pauvres, Barcelone est le moteur de la région, tandis que les contrées d’Ebre et de Gérone comptent respectivement 36,8% et 32,7% de pauvres.
L’indépendance comme solution ?
En matière de politique, et notamment dans le contexte de volonté souverainiste, quelles conclusions peut-on en tirer ? Deux grilles de lecture sont possibles, aboutissant à deux discours totalement différents.
D’une part, on peut penser que cette situation sociale pénible n’est pas favorable à la constitution d’un Etat indépendant, et que ces résultats invitent à demander une solidarité nécessaire à ceux qui peuvent la lui apporter. Dans le cas de la Catalogne, il s’agit de l’Etat espagnol, voire de l’UE. La solution consisterait donc à ne pas revendiquer une scission avec le reste du pays.
Au contraire, on peut estimer que l’indépendance de la Catalogne est la voie à emprunter, celle-ci permettant à la Catalogne d’avoir sa propre fiscalité, et de gérer son budget comme bon lui semble, sans être contraint de contribuer au budget national. C’est dans cette optique que, Angels Guiteras, présidente de La Taula del Tercer Sector, un groupement catalan d'entités sociales, a déclaré mercredilors de la journée de l’éradication de la pauvreté à Barcelone : "l’absence de cohésion sociale nous poussera à devenir un pays", avant d’ajouter "On peut remplir 10 Camp Nou avec les nouveaux pauvres". Elle a qualifié "d’irrationnelles" les politiques d’austérité du gouvernement, jugeant que celles-ci sont à l’origine du mouvement indépendantiste catalan. Elle souhaiterait la mise en place de politiques sociales.
Dans une tribune d’El Pais, Josep Ramoneda met en garde contre cette pauvreté sans cesse plus grande, car elle est le lit d’un manque de cohésion dans la société, d’autant plus quand elle est accompagnée d’inégalités. C’est le rôle du gouvernement de faire en sorte que ce problème soit résorbé. "Une démocratie digne de ce nom ne peut laisser autant de personnes dans la misère", conclut-il.
Arnaud ROY (www.lepetitjournal.com - Espagne) Mardi 23 octobre 2012
Source : https://www.lepetitjournal.com